ENVOYÉ
SPÉCIAL DANS LES AIRS ENTRE JOHANNESBURG ET ANTANANARIVO - Ce samedi, à bord de l'avion
emportant Marc Ravalomanana vers sa terre natale malgache, ledéjeuner a déjà été servi, les passagers
s'assoupissent, lisent ou conversent. Le vol SA 8252 a déjà parcouru les
deux-tiers de son trajet. Derrière les hublots, le bleu de l'océan Indien.
Soudainement,
la porte du cockpit s'ouvre, et un membre de l'équipage, un gilet jaune
fluorescent sur le dos, apparaît. "Nous devons faire demi-tour, ils ont fermé l'aéroport", lance-t-
il à la délégation accompagnant l'ex-président malgache. Un attroupement se
forme à l'avant de l'aéronef. Marc Ravalomanana, cravate bleu, chemise rayée,
se lève à son tour. Le visage est fermé.
Dans les
rangs, l'agacement est perceptible, mais pas la surprise. Tous se doutaient qu'Andry
Rajoelina, l'actuel président du pays, serait prêt à tout pourempêcher son rival de rentrer au pays.
Le matin
même, Marc Ravalomanana avait pourtant réussi cette fois-ci à obtenir sa carte d'embarquement, qui lui avait été
refusée il y a un an. Confiant, l'ex-homme fort de la Grande Île avait même
ajouté : "J'ai parlé ce matin au premier ministre malgache, et il
m'a dit que tout était ok". A ses côtés, on rappelle qu'il n'y a "aucune
base légale" pour l'arrêter une fois sur place.
Quand
l'avion s'arrache du tarmac de l'aéroport de Johannesburg, M. Ravalomanana
embrasse plusieurs fois sa femme, Lalao, assise à côté de lui au premier rang.
La fin de trois années d'exil depuis son éviction par un coup d'Etat mené par
Andry Rajoelina est proche.
Deux heures
plus tard, dans la carlingue, la discussion est musclée entre l'homme au gilet
jaune et une conseillère de Marc Ravalomanana : "On veut atterrir à Madagascar !", insiste- elle. "On
a contacté d'autres aéroports du pays, mais ils disent tous non" lui
répond-t-il. "Alors stationnons dans les airs au-dessus
d'Antananarivo ?" "Nous avons une quantité de kérosène
limitée, je ne peux mettreen danger la sécurité des passagers".
L'avion fait
alors un virage à 180 degrés. Sur un smartphone d'un photographe, la boussole
indique désormais le sud-ouest. Retour à Johannesburg.
A chaud,
devant quelques journalistes présents à bord, Marc Ravalomanana réagit : "C'est
la preuve que ce gouvernement ne respecte pas la ‘feuille de route', pourquoi
ne peut-on pas atterrir ? tous les exilés sont normalement autorisés
àrentrer ! il y a un million de Malgaches qui
m'attendent à l'aéroport [quelques milliers selon des observateurs]".
Sur le chemin
du retour, la petite équipe cogite autour de l'ex-chef d'Etat pour tirerparti de ce nouvel échec. "Pour nous,
c'est presque une victoire car cela vamontrer que Madagascar est dirigé par un homme qui
n'en fait qu'à sa tête, qui ne veut pas d'une transition consensuelle et
inclusive", juge une proche de M. Ravalomanana.
A
l'atterrissage à Johannesburg, la délégation refuse de descendre de l'avion. "La stratégie est
désormais de faire le plus de bruit possible à l'extérieur avec
cette histoire", résume un conseiller en communication. A Madagascar, sa mouvance
politique annonce au même moment qu'elle suspend sa participation aux
institutions de la transition.
Des
responsables de la compagnie aérienne, puis des policiers essaient d'inciterles passagers récalcitrants à sortir. Mais on ne malmène pas un VIP de la sorte. Ses
conseillers enchaînent les coups de fil. Marius Fransman, vice-ministre
sud-africain de la coopération internationale et chef de la délégation de la
médiation de la Troïka de la SADC à Madagascar est au bout de fil.
Tout d'un
coup, le silence se fait. C'est le président sud-africain Jacob
Zuma. Au bout de quelques minutes, la conseillère de M. Ravalomanana
raccroche, et chuchote la nouvelle. Le chef d'Etat est d'accord pour faire pression sur le régime malgache lors du prochain
sommet de l'Union Africaine à Addis-Abeba la semaine prochaine. Un grand sourire se dessine alors sur le visage de Marc
Ravalomanana. Il tape dans la main de sa conseillère.
L'homme va
de nouveau passer la nuit en Afrique du Sud, mais il a la
certitude d'avoir marqué des points dans la longue bataille
l'opposant à son rival, Andry Rajoelina. L'avion a atterri il y a déjà deux
heures. Devant les photographes, M. Ravalomanana peut alors descendre les marches le menant au tarmac.
Sébastien
Hervieu
Le Monde.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire