lundi 23 janvier 2012

Mémoires d’une jeune fille pas rangée


«Une année studieuse» de Anne Wiazemsky est un journal d’adolescente revu et corrigé, presque un demi-siècle plus tard, par la main d’une femme qui se souvient en souriant.
 Anne Wiazemsky et Jean-Pierre Léaud dans «La Chinoise» de Jean-Luc Godard.
- Anne Wiazemsky et Jean-Pierre Léaud dans «La Chinoise» de Jean-Luc Godard. -
Anne Wiazemsky a gardé la fraîcheur de ses vingt ans. Comédienne, écrivain et réalisatrice, la petite-fille deFrançois Mauriac, qui fut aussi la femme de Jean-Luc Godard, nous raconte sa rencontre avec le cinéaste d’A bout de souffle et les premiers mois de leurs amours.
Anne était une douce rebelle, qui choisit à 19 ans —encore mineure, en ce temps-là— de partir avec un homme de quinze ans son aîné, défiant une famille où l’on ne badinait pas avec la tradition. Pas révolutionnaire, non, mais guidée par son seul instinct et sa fascination pour le cinéma.
Tout est simple et fluide dans ce récit au premier degré, qui ressemble à un journal d’adolescente revu et corrigé, presque un demi-siècle plus tard, par la main d’une femme qui se souvient en souriant. Anne, qui prépare son bac avant d’entrer en fac, est tout à la fois naïve, fragile, insouciante, et très décidée. Elle ne nous cache rien de ses joies, de ses doutes, de ses émois, de ses emballements, de ses frayeurs. Ce qui la rend charmante. Godard, lui, se révèle imprévisible, facétieux, colérique, pas toujours très sympathique, mais elle admire son génie fiévreux, et elle l’aime. Tandis que lui, inquiet de leur différence d’âge, est un amoureux jaloux et possessif.
Du Sagan, la mélancolie en moins
Cela fleure bon les années soixante, époque où la jeunesse française commençait à regimber contre les conventions bourgeoises et la pesanteur gaulliste. On y croise Truffaut, Bresson, Jean Vilar, Maurice Béjart, Jeanne Moreau, Ionesco, et même un certain Daniel Cohn-Bendit. On s’ennuie avec elle dans le Nanterre d’avant mai-68, on assiste au tournage de La Chinoiseon la suit au Festival d’Avignon, on s’amuse du face-à-face entre Mauriac, l’écrivain catholique et guindé, et l’anarchiste foutraque Godard, venu lui demander la main de sa petite-fille…
Il y a du Sagan –la mélancolie en moins— dans la description de ce petit monde doré, vu à travers les yeux d’une toute jeune fille, qui enchaîne films, pièces, festivals, et vacances au soleil. Il y flotte une petite musique, comme un air de menuet italien. Ce qui transparaît, c’est la légèreté d’un temps, celui de Jules et Jim, des voitures décapotables, des étudiants potaches, des bars de Saint-Germain, des premiers paparazzis, de la Nouvelle Vague… La France s’ennuyait peut-être, mais pas la petite bande d’artistes qui avaient, les premiers, rué dans les brancards, le Petit Livre rouge en poche.
Mais faut-il croire tout ce qu’elle nous raconte? L’intitulé «roman» apparaît sur la jaquette du livre, et, de son propre aveu, elle a beaucoup inventé. C’est une tendance du roman contemporain: mêler la fiction à la réalité. S’agissant de personnages connus, évidemment, on s’interroge: «A-t-il dit ceci? Etait-il vraiment comme ça?».
En réalité, c’est secondaire: l’authenticité d’un être est souvent dans ce qu’il pourrait dire ou faire, davantage encore que dans ce qu’il dit ou fait. Reconstruire la réalité pour approcher la vérité: tel est le métier de l’écrivain.
Hervé Bentégeat

Slate.fr

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