Les
scénarios pessimistes se confirment: des bulles de méthane enfermées sous le
permafrost se libèrent sous l'effet du réchauffement dans l’atmosphère et
risquent d'accélérer encore ce réchauffement...
L’année 2011 ne restera peut-être pas
longtemps l’année la plus chaude depuis le début des relevés, selon
Météo France, c'est-à-dire depuis 1863.
2011 dépasse en effet le record de 2003 avec une température moyenne de 13,6°C
contre 13,4°C pour l’année de la dernière canicule.
Nous voilà
donc en plein réchauffement climatique, même si le Giec affiche toujours la
même prudence en matière d’analyse des phénomènes météorologiques
actuels. Il n’empêche. Environ 12°C dans la nuit du réveillon, le 31 décembre
2011 à Paris, cela ne s’était jamais vu, de mémoire de grenouille…
Et pourtant,
ce qui se prépare pour les prochaines années pourrait encore amplifier ce
réchauffement qui fait le bonheur des amateurs de douceur hivernale. Pour
l’instant, si l’on suit bien les climatologues du Giec, c’est essentiellement
aux émissions de CO2 provoquées par les activités industrielles de
l’homme que l’on doit la vague de chaleur qui saisit la planète.
Or, il ne
s’agit peut-être que d’un simple pétard d’amorçage de la véritable bombe
climatique à venir: le méthane. La digestion des ruminants et, surtout, les
activités humaines en produisent une quantité qui a sensiblement augmenté au
cours de l’ère industrielle. Mais le véritable problème vient du «gisement»
naturel de méthane enfoui dans les sols gelés de la Sibérie ou du nord du
Canada et sous les océans.
Sous le
permafrost le gaz
Des
milliards de milliards de végétaux et d’organismes vivants ont été piégés par
la glace pendant des dizaines de milliers d’années dans le sol gelé, le
permafrost (ou pergélisol en français), comme le note le journaliste Justin
Gillis dans le New
York Times du 16 décembre 2011. Or, avec le réchauffement climatique en
cours, ce carbone «fossile» pourrait se transformer en gaz carbonique et en
méthane sous l’action de bactéries et de microbes…
Un second
«effet Kiss Cool» pouvant provoquer une sorte de réaction en chaîne: le CO2
réchauffe assez l’atmosphère, la terre et les mers, pour que des bulles de
méthane soient libérées dans l’atmosphère; ces bulles accélèrent encore le
réchauffement; cette chaleur provoque l’émission de toujours plus de méthane,
etc…
Seule bonne
nouvelle, la durée de la présence de ce méthane dans l’atmosphère est plus
limitée que celle du CO2. Néanmoins, son impact sur l’effet de serre est
considéré comme 20 à 25 fois supérieur à celui du CO2 sur un cycle de 100 ans.
Le
journaliste du New York Times relate le travail d’une scientifique, Katey
Walter Anthony, de l’université d’Alaska à Fairbanks qui, dans les années 2000,
est partie à la chasse aux bulles de méthane sur différents lacs de Sibérie.
Elle est alors revenue pratiquement bredouille. En octobre 2011, en revanche,
elle a pu observer de véritables panaches de méthane s’échappant de la surface
de ces lacs. «On pouvait voir partout des gerbes de bulles»,
déclare-t-elle.
Des
rejets plus rapides que prévus
Ce constat
rejoint celui du scientifique russe Igor Semiletov, qui travaille au Centre de
recherche arctique international de la même université d’Alaska. Interrogé par The
Independant, le 13 décembre 2011, il témoigne de la découverte d’une
concentration importante de panaches de méthane jaillissant du fond océanique
arctique:
«Nous
avions déjà trouvé des rejets sous forme de torche mais ils ne
s’étendaient que sur quelques dizaines de mètres de diamètre. Pour la
première fois, nous avons observé des écoulements continus et puissants sur
1.000 mètres de diamètre. Et nous en avons découvert plus de 100 sur une zone
assez limitée. Il doit donc en exister des milliers… »
Ces
observations vont dans le sens de l’étude internationale
publiée par 41 chercheurs du Réseau de recherche sur le permafrost le 1er
décembre 2011 dans la revue Nature. Les deux auteurs principaux, Edward Schuur
(Université de Floride) et Benjamin Abbott (Université d’Alaska) révèlent des
résultats qui seront pris en compte dans le prochain rapport du Giec, le
cinquième, prévu pour 2014.
Les
chercheurs estiment que leurs travaux montrent que les rejets de carbone issus
du permafrost seront plus rapides que ceux prévus par les modèles actuels.
Selon les dernières estimations, les quelque 18,8 millions de km2 de sols gelés
dans le grand Nord retiennent environ 1.700 milliards de tonnes de carbone
organique. «Soit 4 fois la quantité de carbone émise par l’activité
humaine dans les temps modernes et 2 fois plus que celle qui est présente dans
l’atmosphère aujourd’hui»,indiquent les chercheurs.
Cette
nouvelle estimation est trois fois supérieure aux précédentes. Une différence
due à une beaucoup plus grande profondeur de piégeage du carbone dans le
sol. Auparavant, les calculs ne portaient que sur le premier mètre d’épaisseur. «La
succession des cycles de gel et de dégel et des dépôts de sédiments sur des
milliers d’années ont enterré le carbone sur une profondeur bien plus
importante», notent les auteurs de la publication.
Mieux
étudier la fonte
Autre
incertitude: la répartition entre gaz carbonique et méthane qui résultera de la
fonte du permafrost. Les environnements pauvres en oxygène favorisent le
développement de microbes produisant du méthane mais ils retiennent également
plus de carbone dans le sol. Une présence plus importante d’oxygène provoque la
prolifération de bactéries qui, elles, produisent du gaz carbonique. Le mix
final de ces deux gaz aura un impact important sur le réchauffement climatique.
L’étude
publiée dans Nature prend en compte les deux scénarios extrêmes du quatrième
rapport du Giec: +2°C ou + 7,5°C en 2100 dans la région arctique. Le
réchauffement le plus élevé provoquerait, selon les chercheurs, la fonte de 9 à
15% des 3 premiers mètres d’épaisseur du permafrost d’ici 2040 et de 47 à 61%
d’ici 2100. En équivalent CO2, cela représente l’émission de 30 à 60 milliards
de tonnes d’ici 2040 et de 232 à 380 milliards de tonnes d’ici 2100. Des
résultats de 1,7 à 5,2 fois supérieurs à ceux des modèles précédents.
Dans le même
temps, les scientifiques plaident pour l’intensification des mesures sur le
terrain afin d’affiner leurs calculs. Les prévisions sur la vitesse de la fonte
des glaces de la banquise se sont déjà révélées très sous-estimées par les
modèles des climatologues. Ces derniers résultats montrent qu’il reste encore
beaucoup de progrès possibles pour mieux évaluer des phénomènes aussi complexes
de la fonte du permafrost. Le risque d’accélération du réchauffement sous
l’effet de rejets massifs de méthane justifie sans doute de s’y intéresser de
près.
Michel
Alberganti
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