TOULOUSE,
ENVOYÉE SPÉCIALE - "Levez les yeux", demande Michel
Diaz, directeur de recherche au Laboratoire d'analyse et d'architecture des
systèmes (LAAS) du CNRS de Toulouse. A mi-hauteur du hall flottent deux énormes
structures métalliques carrées. "D'ordinaire, ces grils de scène
servent à placer les décors au théâtre. Ici, on va les utiliser pour recréer dans cette pièce de 500 m2l'environnement
d'une maison. Là, une salle de bains, là-bas une cuisine ou une chambre... tout
ce qu'il faut pour étudier en situation des robots d'assistance." Pour
l'heure, néanmoins, il n'y a rien à voir. Le bâtiment est vide.
Construit à
deux pas du LAAS, le fleuron du projet Adream (Architectures dynamiques
reconfigurables pour systèmes embarqués autonomes mobiles) vient d'être livré au CNRS. Courant janvier, 65 chercheurs du
LAAS emménageront dans ces locaux qui sont tout sauf ordinaires. "Au
début, en 2006, il était question deconstruire des plates-formes de recherche consacrées à
la robotique, aux réseaux informatiques et aux systèmes embarqués, se
rappelle Michel Diaz, chef du projet Adream. Après étude, le prix de
ces installations revenait à celui d'un bâtiment. Nous avons donc fait évoluer le projet." Voilà comment est
né, pour 7,2 millions d'euros, le site expérimental d'Adream.
"Le
principal intérêt du projet, admet Philippe
Bidaud, directeur de l'Institut des systèmes intelligents et de robotique à
Paris - qui n'y est pas associé -, c'est qu'il va permettre aux chercheurs d'effectuer une recherche contextualisée." Dans
ce bâtiment unique au monde, truffé de câbles et de capteurs, les chercheurs
seront les premiers cobayes des innovations énergétiques, informatiques ou
robotiques imaginées par les équipes du LAAS. "75 % des recherches
menées par les 250 chercheurs du laboratoire sont concernées par le projet
Adream", explique Jean
Arlat, directeur du LAAS.
"Dans
ce hall, reprend
Michel Diaz, il sera possible d'étudier quatre à cinq robots d'assistance en même
temps et de travailler sur l'interaction entre l'homme et la
machine." Un point crucial. Car, dans leur majorité, les robots
de service sont appelés à collaborer avec des humains, devenant des aides à
domicile, des hôtesses d'accueil ou des guides. Avec le vieillissement de la
population occidentale, le marché potentiel, s'il n'est pas encore quantifié
par la Fédération internationale de robotique, est annoncé comme énorme et
pourrait s'ouvrir d'ici cinq à dix ans.
"Or,
pour remplir ce type de tâche, un robot doit pouvoir se déplacer de façon autonome, reconnaître un humain, un visage, réagir à une commande gestuelle ou vocale, à une
chute, et tout cela sans nuire à la sécurité des usagers, explique Michel Devy, spécialiste de
l'interaction homme-machine au LAAS. Cela implique d'améliorer les robots, mais aussi l'environnement dans
lequel ils évoluent." Car, pour les roboticiens, l'autonomie des
robots ne pourra être atteinte qu'au travers d'une intelligence
ambiante et avec l'installation de détecteurs ou de caméras 3D."Dans le
nouveau bâtiment, nous pourrons tester différents types de capteurs et endisposer à loisir dans le hall... ou dans les
couloirs." Michel Devy sourit : "Un jour, nous
aurons peut-être un robot pour distribuer notre courrier."
D'abord,
seuls les robots non humanoïdes, aux formes de tourelle ou de mante religieuse,
sont appelés à emménager. Posés sur des roues, ils sont plus stables,
moins fragiles et donc plus près de la commercialisation que leurs cousins
anthropomorphes. Il n'y a qu'à voir avec quelles difficultés l'humanoïde japonais
HRP-2, l'un des plus perfectionnés du monde, se déplace ou attrape une balle
pourprendre la mesure de la distance qu'il reste à parcourir. HRP-2 et son concurrent français, Romeo, attendu
courant 2012, resteront donc dans l'ancienne plate-forme de recherche. "Mais
cela ne signifie pas que ces robots ne participeront pas aux avancées
effectuées dans le bâtiment Adream", insiste Philippe
Souères, spécialiste des humanoïdes au LAAS.
A terme, les
robots humanoïdes pourraient en effet faire d'excellents robots de service, ne serait-ce que
parce que leur morphologie est adaptée à un environnement façonné à notre
image. "De façon générale, il est difficile deprésumer de la forme future des robots d'assistance, insiste
Rodolphe Gelin, chef du projet Romeo chez Aldebaran Robotics. Au début
de ma carrière, j'ai voulucréer un robot aspirateur automatique. Mais à
l'époque, on m'a répondu que, le temps que je développe un tel engin, de la
moquette mangeuse de poussière aurait été inventée." L'anticipation
est un art délicat.
S'approchant
d'un tableau farci de prises variées, Michel Diaz poursuit sa visite imaginaire
: "Les capteurs que nous installerons dans les locaux ne seront
pas destinés aux seuls robots. Une partie sera utilisée par le bâtiment." Car,
d'un certain point de vue, le bâtiment d'Adream est en lui-même un robot. Une
entité capable d'observer ce qui se passe en son sein, d'analyser la situation, de planifierune action puis de l'exécuter en temps réel. "Ceci passe par
la mise en place de réseaux informatiques très sophistiqués, aptes à traiter, à différentes échelles, une quantité colossale de
données et de faire dialoguer des machines, des capteurs, qui produisent
ou gèrent des informations de natures différentes", explique Ismael
Bouassida Rodriguez, chercheur invité au LAAS.
La structure
de l'ensemble est évolutive. Là encore, différentes stratégies ou idées
pourront être étudiées successivement. "D'ordinaire,
nous testons ces architectures informatiques sur de petites maquettes, continue
Mahdi Ben Alaya, un jeune doctorant qui montre l'enchevêtrement de fils lui
servant d'ordinaire de support de travail. Avec Adream, nous allons passer dans des conditions réelles, dans du
concret." Pour appuyer son propos, il cite la pose de capteurs de
température, de luminosité, de CO2 ou de présence. Dans son
élan, il évoque même l'installation possible de détecteurs de pression sous les
sièges des chercheurs.
Une envolée
qui ne correspond pas à la réalité immédiate mais qui trahit les nombreux
problèmes éthiques posés par l'intelligence ambiante, notamment au regard du
respect de la vie privée. "Toute innovation a ses avantages et ses
inconvénients, reconnaît Michel Diaz. Le ressenti des
chercheurs installés dans le bâtiment permettra d'évaluer certaines conséquences. Mais on ne peut pas gagnersur tous les plans."
Il est
d'ailleurs un point sur lequel les futurs locataires risquent de ne pas gagner au change : le confort thermique. "Ici,
il n'y a pas de climatisation ni de chauffage électrique, explique
Bruno Estibals, de l'université Paul-Sabatier et chercheur au LAAS, qui s'est
occupé des aspects énergétiques du bâtiment. La régulation thermique se
fera principalement par géothermie, grâce à des tuyaux gorgés d'eau qui
s'enfoncent sur 150 mètres de profondeur dans un sol à 15 °C." Cette
technique passive permet de gagner ou de perdre jusqu'à 6 °C par rapport à la température
extérieure. En cas de fortes chaleurs ou de grands froids, un puits canadien
(système géothermique de surface) ainsi que les réserves d'eau chaude ou froide
pourront être mis à contribution. "Ce sera
supportable, mais il faudra sans doute s'habituer."
Et ce n'est
pas tout. Car pour l'électricité aussi les chercheurs sont tributaires des
calculs du bâtiment et des installations imaginées par les énergéticiens du
laboratoire. 80 % de la façade principale du bâtiment est recouverte de
panneaux photovoltaïques fixes. A quoi il faut ajouter la terrasse expérimentale du toit où d'autres
panneaux, mobiles cette fois, pourront être testés. L'excédent d'énergie sera stocké à
l'extérieur du bâtiment par différents types de batteries. "D'après
nos estimations, la production énergétique du bâtiment sera supérieure à la
consommation", poursuit Bruno Estibals. Tout au moins, elle
pourrait suffire àalimenter un édifice de taille équivalente utilisé
dans le secteur tertiaire.
Reste à savoir si un bâtiment "intelligent" comme
celui d'Adream ne consomme pas plus que ses ancêtres immobiliers.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire