La
consommation d'alcool à petites doses a fait la preuve de ses vertus
préventives dans les maladies cardiovasculaires. C’est un peu plus compliqué en
ce qui concerne la démence et les affections neurodégénératives.
Parfois, l’alcool est une bien belle
substance. C’est aussi, assez fréquemment, une molécule détestable.
Heureusement désinhibitrice dans de nombreux cas, facilitant les échanges entre
humains, elle est à l’origine d’un fléau multiforme, la cause de dégâts
majeurs, individuels et collectifs. On retrouve cette ambivalence dans le champ
de la biologie et de la médecine.
De très
nombreux travaux ont cherché (et sont parvenus) à mettre en évidence l’impact
bénéfique d’une consommation modérée de boissons alcooliques (de vins pour
l’essentiel) sur l’appareil cardiovasculaire. Ces travaux sont notamment
directement impliqués dans les démonstrations récurrente des vertus du célèbre
«régime méditerranéen» qui vient une nouvelle fois d’être mis à l’honneur: l’European
Journal of Clinical Nutrition (2012; 66(3): 360-8) publie une étude
qui associe ce type d’alimentation à une qualité de vie définitivement
meilleure en termes de santé physique et de bien-être mental.
De
l'alcool pour préserver les fonctions cognitives
La question
reste ouverte pour ce qui est de l’impact de la consommation d’alcool sur le
maintien des capacités cognitives ou de la prévention du risque de démence.
Elle s’enrichit aujourd’hui d’une étude publiée dans la revue Psychiatry Investigation. Ce travail sud-coréen a été
dirigé par le Dr Ihn-Geun Choi (Department of Neuropsychiatry, Hallym
University Hangang Sacred Heart Hospital, Seoul) Les auteurs se sont intéressés
à la question, passionnante, de savoir s’il était possible (au vue des données
actuellement disponibles) de définir « un modèle optimal de
consommation ».
Ils
observent que dans ce domaine (et à la différence notable du coeur) les
mécanismes biologiques spécifiques restent mal compris, et il semble pour le
moins prématuré de recommander une consommation régulière d’alcool (même
modérée) dans le but de prévenir ou de réduire le risque de démence (entendue
comme une perte d’autonomie) précoce. Il leur semble néanmoins
possible de dédramatiser les conséquences négatives d’une (légère) consommation
quotidienne d’alcool chez les patients âgés et très âgés.
Comment
faire la part entre un effet neurotoxique et un effet
neuroprotecteur de la consommation d’alcool? L'association entre cette
consommation et la fonction cognitive chez les personnes âgées est pour le
moins complexe. C’est l’analyse de cette association qui est effectuée par les
auteurs de la publication de Psychiatry Investigation. Les doses,
les habitudes de consommation voire le type de boissons sont autant de
paramètres qui peuvent entrer en ligne de compte. Des études longitudinales et
par imagerie cérébrale ont d’ores et déjà montré que chez les patients âgés,
une consommation excessive d'alcool peut augmenter le risque de
dysfonctionnement cognitif et de démence. A l’inverse une consommation à la
fois faible (ou modérée) et régulière peut protéger contre déclin cognitif et
la démence, sans même parler des bénéfices cardiovasculaires.
Les auteurs
sud-coréens ont analysé les études sur l’association alcool-capacité cognitive
chez les personnes âgées publiées durant quarante ans: de 1971 à 2011. Le
contexte général est connu: on manque cruellement de traitements efficaces pour
prévenir le déclin cognitif ou la démence. Or, il apparaît, au vu d’un certain
nombre d'études épidémiologiques prospectives que le risque de démence précoce
est plus faible chez les buveurs (légers à modérés) que chez les abstinents.
D'autres études font aussi état d’effets bénéfiques mais seulement dans
certains sous-groupes. Une récente méta-analyse sur des sujets de plus de 65
ans conclut de manière convergente que la consommation d'alcool légère à
modérée est associée à un risque moindre d'environ 35 à 45% de déclin cognitif
ou de démence par rapport à l’abstinence.
Un
médicament en phase de test: le resvératrol
On pourra
rapprocher ces travaux de l’initiative de chercheurs de la Georgetown
University: ils souhaitent faire le point le plus objectif possible sur
la façon dont on pourrait à l'avenir utiliser le resvératrol (un composé
présent notamment dans les raisins et vins rouges) contre le
développement de la maladie d’Alzheimer. La Georgetown
University vient ainsi de lancer une grande étude nationale, soutenue par
le National Institute on Aging (NIA-NIH) en collaboration avec 24 institutions
universitaires américaines. Il s’agit d’un essai de phase II de douze mois qui
vise à examiner les effets du resvératrol sur des patients atteints de démence
légère à modérée de type maladie d'Alzheimer. Ce travail est coordonné par le
Pr R. Scott Turner, directeur du Georgetown University Medical Center's Memory
Disorders Program. Aujourd’hui le resvératrol (et a fortiori les vins rouges)
n'est pas approuvé par le Food and Drug Administration pour le traitement de la
maladie d'Alzheimer.
La plupart
des études montrant les bénéfices du resvératrol a été menée sur l’animal et
surtout sur des souris, et avec des doses qui dépassent de loin l'apport d’une
consommation quotidienne modeste de vin rouge. Ici les participants
devront subir deux ponctions lombaires, trois IRM cérébrales, des prélèvements
sanguins et des tests d'urine. Un autre objectif sera de confirmer les
bénéfices du resvératrol en prévention du diabète.
Que peut-on,
pratiquement conclure et conseiller dans ce domaine? A dire vrai peu de
choses, du moins si l’on en croit les spécialistes sud coréens. Les mécanismes
biologiques spécifiques directement impliqués dans les phénomènes observés
demeurent mal compris. On ne saurait sans grand risque préconiser des
fourchettes de consommation à visée préventive. Tout au plus peut-on affirmer
qu’une consommation modérée apparaît potentiellement bénéfique
– et qu’en toute hypothèse elle peut être dédramatisée. Et ce d’autant que des
données biomédicales soutiennent l'idée qu’une consommation modérée d'éthanol
est non seulement sans danger pour la fonction cognitive, mais qu’elle peut
avoir un effet neuroprotecteur.
Reste que
l’on est ici soumis aux faiblesses méthodologiques, aux écarts statistiques et
à l’absence de définitions vraiment normalisées. Un flou relatif qui incite à
souhaiter la conduite d’études mieux élaborées pour savoir si les seniors
peuvent, eux aussi, bénéficier des plaisirs inhérents à une consommation (non
pathologique) de boissons alcooliques.
Jean-Yves
Nau
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